Champions du monde 2018
En Russie, les Bleus ont rapporté à la France sa deuxième étoile. Retour sur un parcours mémorable

France-Australie (2-1) : la technologie sauve les Bleus
Kazan Arena, 16 juin 2018
Antoine Griezmann n’a pas vraiment compris. Une poignée de secondes plus tôt, l’attaquant des Bleus, parfaitement lancé par Paul Pogba, avait été fauché par Joshua Risdon dans la surface de réparation australienne. Dans son esprit, pas de place au doute : Andrés Cunha allait désigner le point de penalty.
Mais non, l’arbitre uruguayen n’a pas bronché et a laissé le match se poursuivre. Avant d’être rattrapé par le doute et, à l’arrêt de jeu suivant, faire appel à la VAR, l’assistant vidéo utilisé pour la première fois dans cette coupe du monde. Les Socceroos avaient beau protester, l’officiel examinait attentivement les images qui défilaient sous ses yeux sur le bord de la pelouse de la Kazan Arena. L’évidence s’est rapidement imposée à lui : Griezmann avait bien été stoppé de manière illicite. Le penalty s’imposait, un avertissement étant accordé au coupable.
“J’oublie qu’il y a la VAR...”
Griezmann n’a pas tremblé et la France est entrée une fois de plus dans l’histoire du Mondial, avec cette décision, première du genre dans cette compétition assistée. Il y a quatre ans, déjà, les Bleus avaient expérimenté une autre nouveauté : la technologie sur la ligne de but qui avait permis d’accorder un but à la suite d’une action de Benzema, face au Honduras. Ce jour-là, à Porto Alegre, la confusion avait régné, spectateurs et téléspectateurs mettant un temps fou à comprendre ce qui se tramait. Rien de tout ça, hier, la sentence tombant rapidement et clairement, même si les détracteurs de la vidéo regretteront cette intervention qui dénature le jeu.
Tout heureux d’en bénéficier, les Bleus n’ont pas versé dans ce sentiment. Hugo Lloris avoue : “Les faits sont en notre faveur, on le prend avec le sourire”. Griezmann, lui, ne s’est pas posé 1 000 questions. “Sur le coup, je pense qu’il y a péno ; après, l’arbitre ne siffle pas et j’oublie qu’il y a la VAR. Tant mieux pour nous. Quand l’arbitre est allé voir la vidéo, pour moi c’était comme s’il y avait penalty et j’étais focalisé pour le tirer”, a lâché “Grizou”.
Les Australiens, Bert Van Marwjik en tête, n’ont guère apprécié ce recours. D’autant qu’il est à l’appréciation de l’arbitre. La veille, à l’occasion de l’exceptionnel Portugal-Espagne (3-3), l’officiel n’y avait pas fait appel pour valider le premier but de Diego Costa, entaché d’un contact suspect avec Pepe. Une simple “vérification sans visionnage” avait été effectuée. Rebelote hier, à l’occasion d’Argentine-Islande (1-1), où l’arbitre n’a pas jugé utile de regarder si une main islandaise était volontaire, ou pas.
Quant aux Bleus, ils apprennent à se familiariser avec ce nouvel outil. “On se rend compte que ça casse la dynamique du match,déplore Lloris. Il faut s’habituer à cette aide supplémentaire dont l’arbitre se sert. On est tellement focalisé sur le jeu que c’est secondaire.” “Il faut s’y faire même si on peut perdre du temps”, complète Samuel Umtiti. Pas de discussion possible pour le second but signé Pogba, de nouveau validé par la technologie, mais celle sur la ligne de but. Les Australiens ont crié leur colère et leur incompréhension, mais la montre de M. Cunha avait vibré. Il leur a montré et cela a clos tout débat. En attendant, les Bleus sont premiers en classe de techno.
Les notes des Bleus

France-Pérou (1-0) : reçus à l'Oural
21 juin 2018, Ekaterinbourg Arena
À la lisière de l’Asie, le jour s’est quelque peu levé sur l’équipe de France. L’histoire retiendra que celle-ci a été reçue à l’Oural et a déjà validé son billet pour les 8es de finale du Mondial russe dans le stade mécano d’Ekaterinbourg, dans une ambiance hostile et dans un froid automnal réchauffé seulement par la fièvre contagieuse des supporters péruviens.
Forte de six points en deux sorties, elle rejoint les autres nations qualifiées. Le troisième et dernier match de poule contre le Danemark, mardi prochain à Moscou, déterminera la hiérarchie entre ces deux équipes et la suite de leur programme, plus ou moins corsé. À moins que l’Australie ne coiffe sur le fil les Danois.
Prometteur par séquences
Mais laissons de côté l’avenir et ses projections toujours hasardeuses, pour revenir à ces Bleus qui s’amusent à jouer avec les nerfs de leurs supporters. Piqués par leur prestation décevante contre l’Australie malgré la victoire (2-1), affectés par les multiples critiques, ils se sont remis la tête à l’endroit en prenant le meilleur sur le Pérou, grâce à un but signé Mbappé (1-0). Court mais suffisant. Ce succès élargit l’horizon des Bleus et leur permet d’éviter de passer à la trappe prématurément. Mais il ne règle pas tout, tellement cette rencontre a offert deux visages de l’escouade de Didier Deschamps. Deux, c’est déjà beaucoup après le miracle de Kazan où, tout au long de ce non-match sauvé par les nouvelles technologies, elle n’en avait montré qu’un : inquiétant.
Changement de décor, hier, avec une première période encourageante, prometteuse par séquences, avec des mouvements collectifs soyeux, un Pogba inspiré, un Mbappé altruiste, un Giroud précieux, un Griezmann astucieux et un Kanté aux quatre coins du terrain. Les Péruviens leur avaient bien mordillé les mollets au cours des dix premières minutes, mais les Français avaient réussi à desserrer les mâchoires sud-américaines.
1-0, c’était bien payé pour les protégés de Ricardo Gareca. Les occasions avaient plu sur le but de Gallese, le pressing bleu, sans être harassant, existait enfin et les joueurs étaient concernés et concentrés, n’hésitant pas à rattraper des erreurs. Griezmann, Varane ou Hernandez auraient pu corser l’addition et se mettre un peu plus à l’abri. La deuxième période aurait pu permettre cela. Mais non, la pause a eu un effet contraire. Elle a semblé anesthésier la bande à Lloris, tout à coup redevenue méconnaissable et l’ombre de cette formation si entreprenante et joueuse lors du précédent acte.
Encore des réglages...
Comme si sa seule ambition consistait à préserver ce résultat. Comme si la peur de se découvrir la tétanisait. Il est vrai que face à un Pérou bouté hors de la compétition avec cette nouvelle défaite qui s’esquissait, l’équipe de France n’avait pas à faire le jeu. Mais de là à subir autant et à laisser le quasi-monopole du ballon à ses adversaires, il y a un pas. Que serait-il advenu si cette frappe supersonique d’Aquino avait été un poil plus précise et n’avait pas rebondi sur la cage de Lloris ?
Toujours est-il que les progrès s’avèrent évidents même si les Bleus ne font pas (encore ?) tout bien. Malgré la domination du Pérou en seconde période, l’équipe de France n’a pas tremblé outre-mesure. Et elle dispose de quelques jours supplémentaires pour régler ce qui ne fonctionne pas comme ce système bancal avec un Matuidi qui ne sert pas à grand-chose en situations offensives.
Ce matin, elle respire un peu mieux. La virée dans l’Oural lui a fait du bien.
Les notes des Bleus

France-Danemark (0-0) : après la purge, Messi se profile
Stade Loujniki de Moscou, 26 juin 2018
De Marseille, Aix ou Avignon, ils étaient nombreux à avoir effectué le déplacement jusqu’à Moscou pour pousser les Bleus vers la victoire face au Danemark, hier. En tournant le dos à la capitale russe et au stade Loujniki, une désagréable impression habitait certains d’entre eux. Comme s’ils avaient déjà vécu ce type de match il y a quelques années, dans leur Vélodrome chéri, avec l’OM alors cornaqué par un… Didier Deschamps.
Hier, les Bleus remaniés de moitié ont assuré l’essentiel : la première place du groupe C. Le reste ? Quel reste ? Cette rencontre ponctuée par le premier 0-0 de ce Mondial n’a été que médiocrité et aurait enfoncé dans un sommeil profond n’importe quel insomniaque. Les acteurs des deux camps, à qui ce point suffisait pour prolonger l’aventure russe, n’ont cessé de repousser les limites du ridicule au fil d’un match devenu une parodie de football.
Quand le stade gronde…
Les 78 000 spectateurs massés dans cette gigantesque arène ont été rattrapés par une profonde colère. Ils ont grondé comme jamais, délaissant l’habituelle ola qui déferle dans tous les stades de la compétition pour cracher leur exaspération. S’ils avaient jeté un coup d’œil dans le rétro, ils se seraient rendu compte que cette issue était prévisible. En 2014 comme en 2016, les Bleus de “DD” avaient déjà conclu leur parcours en poule par des 0-0 ternes et sans relief, agrémentés par des modifications majeures dans le onze de départ. L’histoire a méchamment bégayé, hier, ce qui n’a pas empêché l’ensemble du camp français, Giroud mis à part, de se réfugier derrière le couplet habituel servi en boucle en pareilles circonstances,”l’essentiel est acquis”.
Certes. Et la manière ? L’équipe de France ne s’embarrasse pas avec ce genre de considération depuis le début de la compétition. Mais la rencontre d’hier ne doit pas être considérée comme une sortie classique, ni être mise au même niveau que la bouillie initiale contre l’Australie (2-1). Trop de changements avaient été effectués, l’enjeu n’existait pas vraiment.
Certains joueurs ont sans doute disputé leurs dernières minutes de la coupe du monde et les tauliers vont revenir dans le jeu, samedi à Kazan, à l’occasion du 8e de finale contre l’Argentine qui a arraché le deuxième billet du groupe D, au terme d’une soirée à couper le souffle. Messi et sa bande se présentent sur la route des Bleus pour un choc qui s’apparente à un vrai test, une sorte de quitte ou double pour ces derniers qui vont devoir enfin hausser leur niveau de plusieurs crans.
Deschamps : “Une deuxième compétition commence”
“Une deuxième compétition commence, prévient Deschamps. On est venu avec de l’ambition, on termine premier d’un groupe pas facile. On a obtenu ce qu’on voulait. La montagne va se présenter, on est là. Avec de l’humilité et de l’ambition pour passer la prochaine étape.”
Problème de taille, le match d’hier a au moins souligné un manque de ce groupe qui, plus les jours et les matches passent, paraît de plus en plus bancal : l’absence de profondeur de banc. Les Sidibé, Lemar et autres Dembélé avaient l’occasion d’insinuer le doute dans l’esprit de “DD” dont la marge de manœuvre rétrécit.
Et demeure l’interrogation Antoine Griezmann. Le meilleur buteur du dernier Euro n’est que l’ombre de lui-même. Il peine et ne parvient pas à conduire l’attaque française comme il devrait le faire. Quatre jours s’offrent à Deschamps pour dégoter la bonne formule. Aujourd’hui, il est encore temps.
Les notes des Bleus
Après les poules, la métamorphose
Les Bleus ont désormais quatre matches à remporter. Le moindre faux pas les renverrait à la maison

France-Argentine (4-3) : monumental !
Kazan Arena, 30 juin 2018
La délivrance finale est proportionnelle aux craintes suscitées ces jours-ci : immense et peu dingue. Hier après-midi, l’équipe de France a montré à la face du monde qu’elle valait beaucoup mieux que ses bouillies crachées lors d’un premier tour laborieux. Elle a respiré à pleins poumons le bon air des sommets et en a gravi un, en plantant son drapeau sur la crête de l’Argentine.
Un succès (4-3) qui paraît étriqué à première vue mais dont l’ampleur ne raconte pas exactement la domination de la bande à Didier Deschamps au cours de 90 minutes de folie dans une Kazan Arena colonisée par les magnifiques hinchas argentins qui y ont cru jusqu’au bout et ont été formidables de ferveur y compris après le coup de sifflet final. Côté français, ces 90 minutes suffocantes vont laisser une trace profonde et pas seulement dans les encyclopédies du football. Elles devraient également permettre à ces Bleus impétueux de se libérer, de prendre encore plus confiance en eux et de monter en puissance dans ce tournoi. Comme s’il s’agissait d’un acte fondateur.
Deschamps : “Ce match est fédérateur”
Didier Deschamps n’a jamais douté d’eux. Tout au long de la préparation précédant ce 8e de finale entre deux grandes nations du ballon rond, il leur a diffusé ses bonnes vibrations et sa certitude qu’ils seraient à la hauteur de l’événement et au rendez-vous des quarts de finale. L’histoire de ce duel lui a donné raison. “Cela fait des semaines qu’ils se préparent pour ce match-là, savoure “DD”, le visage radieux. Il était devant eux, ils devaient aller le chercher. Ils ne l’ont pas raté. On n’a pas tout bien fait, mais on a mis de la folie car il y en a dans cette équipe et on a besoin de cela.”
Comme en 2014, l’équipe de France va monter dans le grand huit mondial. Hier, elle a dansé sur l’Argentine avec le juvénile Kylian Mbappé qui, du haut de ses 19 ans, a mené ce tango disputé sur un tempo endiablé. Cette rencontre s’apparente à un monument de dramaturgie, d’intensité, de suspense, d’émotions, avec des acteurs variant les registres. Il y a tout eu dans ce match et les Bleus sont passés par tous les états.
La peur les a rattrapés lorsque Mercado a donné l’avantage à l’Argentine de Jorge Sampaoli. Mais ce dernier n’est pas un disciple de Marcelo pour rien. Son escouade, ou plutôt celle qu’il bâtit avec l’accord de Messi, cumule les déséquilibres et sa base arrière s’effrite au moindre coup de vent.
Deschamps s’en était rendu compte lorsque, avec ses adjoints, il a décortiqué le jeu sud-américain. Alors, Mbappé s’en est donné à coeur joie, Pogba a régalé dans l’entrejeu et d’autres en ont profité pour se révéler, à l’image des latéraux Pavard et Hernandez. Le premier est apparu pour la première lors des rendez-vous de novembre ; le second a attendu ceux de mars pour apparaître dans le paysage. Pas grand monde n’aurait misé sur le fait qu’ils s’apprêtent à disputer, quelques semaines plus tard, un quart de finale de coupe du monde dans la peau des titulaires. Deschamps y a cru, bien aidé par les méformes de Sidibé et Mendy.
“Ce match est fédérateur”, devine Deschamps. Il doit appeler une confirmation dès le tour suivant face à l’Uruguay, victorieuse du Portugal (2-1) et qui n’offrira pas exactement les mêmes largesses que sa voisine de palier. Mais ces Bleus-là ont des ressources insoupçonnées et n’ont pas dit leur dernier mot.
Les notes des Bleus

France-Uruguay : vers un destin céleste
Stade de Nijni Novgorod, 8 juillet 2018
Olivier Giroud a serré les poings très fort, contemplant les drapeaux français qui voletaient dans le ciel de Nijni Novgorod, à quelques mètres de lui. Les remplaçants n’ont pas bondi comme ils l’avaient fait la semaine dernière à Kazan où ils ne pouvaient contenir leur joie à l’issue du 8e de finale homérique face à l’Argentine (4-3). L’issue était identique, pourtant : la France venait de se qualifier et de composer son billet pour le dernier carré du Mondial, l’objectif assigné par Noël Le Graët dès l’automne dernier. Avec un sang-froid clinique et une authentique maîtrise, aussi bien du match que de l’événement.
Hier après-midi, elle n’a jamais tremblé. Elle a maté l’Uruguay (2-0) sans que celle-ci ne trouve quelque chose à redire. Un succès net, sans bavure et logique, tant la Celeste, qui a cherché à la faire tomber dans un faux rythme qui l’arrangeait bien, ne s’est procuré qu’une seule véritable occasion, annihilée par un immense Lloris, juste avant la mi-temps. “C’est presque un but”, souligne à juste titre Didier Deschamps.
Après un premier tour poussif ayant fait naître doutes et interrogations, lui et ses hommes ont enclenché la vitesse supérieure. Ils ne cessent de repousser leurs limites. La victoire face aux Argentins les a désinhibés, a agi comme un déclic. Elle a libéré quelque chose en eux, renforcé leurs convictions, raffermies leurs ambitions, accrue leur confiance.
Ils foncent vers Saint-Pétersbourg, où les attend une demi-finale entre voisins de palier face à la Belgique, avec l’envie de continuer à tout renverser sur leur passage. “Il y a une montée en puissance depuis l’Argentine, nous avons trouvé un meilleur équilibre. Nous avons aussi une marge de progression”, estime “DD”, parfait chef d’orchestre.
Au complet face à la Belgique
Quatre ans après être descendus du quart au Brésil, deux ans après avoir subi une terrible désillusion en finale à domicile, ses hommes étalent leurs progrès, individuels et collectifs. Les Pogba, Varane et autres Griezmann se sont étoffés et paraissent désormais prêts à regarder le monde dans le blanc des yeux. Ils entraînent leurs jeunes partenaires décomplexés dans leur sillage. Entendre Lloris avancer que “les choses sérieuses commencent” après trois semaines de compétition exhale un côté rassurant : ce groupe n’est pas repu. Il a encore faim de victoires et d’exploits, veut nourrir sa propre légende et étirer son épopée jusqu’au 15 juillet, soir de la finale au stade Loujniki.
Avant cette ultime marche vers la gloire, place à la demie à Saint-Pétersbourg où ils ont pris leurs marques fin mars, en dominant la Russie en amical (3-1). Ils avancent vers le rendez-vous face aux surprenants Diables Rouges avec une autre bonne nouvelle : les six joueurs étant sous le coup d’une éventuelle suspension ont franchi l’écueil des quarts sans encombre. Les compteurs sont désormais remis à zéro, tandis que le précieux Matuidi effectuera son retour après avoir purgé sa sanction.
Tous les amoureux de football rêvaient d’un nouveau duel face au Brésil, de ceux qui ont pimenté l’histoire du Mondial depuis des décennies. La Belgique d’Eden Hazard et de... Thierry Henry, adjoint de Roberto Martinez, en a décidé autrement. D’ici mardi, Deschamps va s’évertuer à faire passer le message que ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Et qu’il ne faut pas cesser cette belle aventure si près du but. Mais ses troupes sont sur la même longueur d’onde.
Les notes des Bleus

France-Belgique (1-0) : direction la finale, que diable !
Stade de Saint-Pétersbourg, 10 juillet 2018
Ils sautent, ils chantent, ils agitent leurs drapeaux bleu-blanc-rouge dans le ciel de Saint-Pétersbourg, fous de joie. Le stade Krestovski s’est déjà vidé, mais les supporters de l’équipe de France n’ont pas envie de s’en aller, conscients qu’ils viennent de vivre un moment à part. Ils veulent prolonger leur bonheur, continuer à barboter dans cette douce euphorie dans laquelle la bande à Deschamps vient de les plonger.
Les Bleus sont en finale de la coupe du monde pour la troisième fois de leur histoire. La troisième fois en vingt ans, aussi, ce qui dessine le poids de la France dans le concert mondial. Ils viennent d’éteindre les Diables Rouges (1-0), présentés comme l’un des vainqueurs potentiels de l’épreuve, notamment pour leur force de frappe phénoménale qui a fait tant de ravages sur leur passage. Jusqu’à ce qu’ils croisent la route de ces Bleus tellement costauds, tellement dans la maîtrise de l’événement, tellement sûrs d’eux.
Courage, sacrifice et efficacité
Au prix d’une performance d’un courage inouï symbolisée par les sacrifices d’un Pogba et d’une efficacité redoutable, presque clinique, ils ont gagné le droit de retourner à Moscou, dimanche, pour essayer d’épingler une deuxième étoile à leur blason et montrer au public du stade Loujniki leur vrai visage, et pas celui arboré contre le Danemark (0-0). Cette purge semble appartenir à une autre époque, à une autre équipe.
Celle d’hier s’est fait quelques légères frayeurs face à l’armada belge. Mais Hugo Lloris s’évertue à jouer les anges gardiens depuis le début du tournoi ; Raphaël Varane nettoie sa surface avec une application extrême ; Kylian Mbappé étale son talent insolent ; Pogba se mue en leader technique et meneur d’efforts. Et l’ensemble de l’escouade se met au diapason. Hier soir, une poignée de minutes après le coup de sifflet, la “Pioche” a rassemblé ses partenaires pour marteler un message conquérant.
Puis ils sont tous allés saluer leurs fidèles qui ne tenaient plus en place. Au loin, le staff applaudissait. Un peu plus tôt, Deschamps et ses innombrables adjoints avaient formé un cercle. Ils sautaient, collés les uns contre les autres, façon Lac du Connemara pendant les soirées d’été un poil trop arrosées. L’ivresse des sommets, sans doute. Tous ont mérité de vivre ces instants de grâce après les difficultés initiales.
À l’image de cette demi-finale plutôt fermée où chaque camp redoutait de trop se livrer et se faire punir, le final s’est révélé étouffant, interminable même, avec ces six minutes de temps additionnel. Mais les Bleus ont tenu la barre, accrochés à leur rêve de grandeur. Ils assurent en choeur ne pas évoquer ce titre planétaire au cours de leurs discussions dans leur retraite située dans la grande banlieue de Moscou. Tout juste consentent-ils qu’ils y croient au fond d’eux, et qu’ils se sentent taillés pour succéder à Zidane et son orchestre, vingt ans plus tard.
La France a le coeur bleu
Même si Deschamps va s’escrimer à ramener tout le monde à la raison, ils sont tout près de leurs idoles, à 90 minutes, voire 120, de les rejoindre et de se glisser dans ce costume d’immortels. Comme elles, ils rassemblent la patrie, envoient les Français dans la rue, diffusent des ondes de joie à travers un pays qui les adore et délaisse les tracas du quotidien le temps de cette folle épopée, de cette magnifique campagne de Russie.
La France a le coeur bleu, encore plus depuis hier soir, avec cette qualification pour la finale. Elle attend maintenant de connaître quel adversaire l’autre demi-finale réservera à Pogba et ses camarades, qui de l’Angleterre ou de la Croatie viendra essayer de contrarier leurs desseins planétaires. Jusqu’à dimanche, le temps va se suspendre, paraître long. Mais si doux à la fois.
Les notes des Bleus
Les Bleus sont en finale, Marseille y croit
Les Bleus ne sont plus qu'à une marche du titre suprême. Sur le Vieux-Port et partout en Provence, les supporters se donnent déjà rendez-vous le 15 juillet

France-Croatie (4-2) : la deuxième étoile
Stade Loujniki de Moscou, 15 juillet 2018
Il est 20h30, heure de Russie, lorsque le temps se fige, comme une frappe “de bâtard” de Benjamin Pavard, sous le déluge de Moscou. Noyé dans la masse de ses partenaires, Hugo Lloris parvient à s’en extraire avec, à bout de bras, le trophée tant convoité, le Graal que tout footballeur rêve de conquérir dès qu’il chausse ses premiers crampons. L’équipe de France est championne du monde, vingt ans après le premier sacre décroché à domicile. Zidane et les autres glorieux anciens de 1998, réunis pour la plupart dans les travées du Loujniki, ne sont plus tout seuls, là-haut, perchés sur le toit du monde.
Depuis hier, une deuxième étoile scintille dans le ciel bleu, avec cette victoire finale face à la Croatie (4-2). La France s’invite un peu plus fermement dans le concert planétaire, rejoignant l’Uruguay (1930, 1950) et l’Argentine (1978, 1986) qui comptent le même nombre de titres. Mais ceux des Sud-Américains paraissent appartenir à une autre époque, une ère lointaine, quand ceux des Bleus dessinent une forme de régularité et une sorte de compétitivité depuis deux décennies jalonnées de deux titres, donc, mais aussi d’une finale, perdue en 2006. Personne n’a fait mieux sur la période et cette permanence au plus haut niveau ne peut être le fruit du hasard. Il y a des hommes derrière cette nouvelle conquête, bien sûr, et on ne peut s’empêcher de porter au pinacle Didier Deschamps, technicien clé de cette campagne victorieuse de Russie.
Ce Mondial porte le sceau de Deschamps
“Il connaît le chemin”, répétait en boucle l’autre héros de cet été français, Antoine Griezmann, à l’aube de cette ultime marche. Après avoir ramené la joie et les trophées à l’OM de 2009 à 2012 - puis d’en être jeté dehors comme un malpropre -, “DD” a parfaitement guidé ses troupes, habité par la sérénité et l’assurance de ceux qui savent où ils veulent aller, et qui tiennent bon le cap en dépit des tempêtes traversées.
Deschamps est une exception, un monument, une bénédiction pour le football hexagonal, une légende vivante. Inutile de rayer une mention, elles sont toutes utiles. Voilà un grand homme, exact au rendez-vous des ambitieux, qui rejoint deux autres mythes au panthéon du ballon rond. Comme lui, le Brésilien Mario Zagallo et l’Allemand Franz Beckenbauer ont régné sur le monde comme joueur puis sélectionneur.
“DD” pouvait donc exulter, drapeau en main, poings serrés vers ses proches. Il a coutume de répéter que les victoires appartiennent aux joueurs, les défaites aux entraîneurs. Mais ce Mondial porte son sceau, lui qui a gagné toutes les batailles tactiques qui se sont dressées sur sa route, lui qui a façonné cette escouade à son image, celle d’un technicien qui n’imagine qu’une issue : la victoire.
Macron, capo improvisé
Un peu plus loin de lui, sous une pluie battante et un Loujniki transformé en piscine à ciel ouvert, la bande de gamins qu’il a lancés dans le grand bain baignent dans cette folie qu’ils s’autorisent enfin. Il y a deux ans, ils avaient laissé des forces au Vélodrome après leur demi-finale victorieuse contre l’Allemagne (2-0). Ils ont retenu la leçon et les nombreux nouveaux venus se sont mis au diapason du succès. Cette finale contre les Croates exhale un sentiment bizarre tant les Bleus ont paru débordés par l’enthousiasme adverse, du moins en première période. Mais ils ont atteint la pause en tête (2-1), avec deux buts pour un tir cadré. Avant d’étouffer par la suite leur rival pour une finale qui n’avait plus été aussi prolifique depuis un demi-siècle.
Aux côtés du sage du groupe, Steve Mandanda, ils pouvaient bien sauter, danser sous la pluie, glisser sur la pelouse. Puis sabrer le champagne dans leur vestiaire avec Emmanuel Macron, improvisé capo. Le monde est bleu, il se trouve à leurs pieds. Il leur appartient. Pour quatre ans. Et peut-être pour plus longtemps encore, eux qui affichent 26 ans de moyenne d’âge. Ils ont mérité leur part d’éternité.